Ce qui me frappe cette année à la relecture de l’évangile de la guérison de l’aveugle-né, c’est la façon tellement éloquente dont il illustre une réalité de tous les temps, l’extrême difficulté de faire passer l’évangile, de faire pénétrer l’évangile dans notre monde, dans les esprits et les cœurs. Le geste évangélique de Jésus, la guérison de l’aveugle-né, se heurte à tous les obstacles imaginables. Le désaccord à savoir si celui qui a été guéri est bel et bien celui qui se tenait à cet endroit pour mendier. La dureté de cœur des pharisiens qui fait qu’ils s’objectent à une guérison opérée le jour du sabbat, la division parmi les pharisiens, leur refus de croire que cet homme avait été aveugle, et que maintenant il voit. La réticence des parents, par peur des pharisiens, à apporter leur témoignage à l’appui de leur fils en affirmant qu’il a bel et bien été guéri par cet homme Jésus. L’intention des pharisiens d’exclure désormais de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Leur acharnement à vouloir faire dire à l’aveugle-né, comme eux, que cet homme Jésus est un pécheur. Leurs injures sans relâche, et enfin, son expulsion. Nous reconnaissons bien dans tout cela des obstacles tout-à-fait typiques qui se dressent devant quiconque ose proposer l’évangile dans notre monde. Dans toute cette affaire, un seul cœur est pénétré par l’évangile, et c’est celui de l’aveugle-né. Il y a de quoi nous dissuader tous et toutes à oser proposer l’évangile.
Et pourtant, le geste de Jésus en valait bien la peine. Elle est si belle, la conversion de l’aveugle-né. Graduelle, à tâtons, aidée, il faut bien le dire, par l’adversité dont il a été l’objet, et qui le force à formuler ses convictions et ainsi à s’approcher peu à peu de la conversion. Laquelle culmine en sa belle profession de foi : ‘’Je crois Seigneur, que tu es le fils de l’homme’’.
Tout cela nous ramène à la parabole du semeur, et par laquelle Jésus nous avertit que dans la semence de l’évangile dans le monde, il y aura beaucoup de perte, très souvent peu de gains, toujours de l’adversité, mais que là où la semence germe, elle produit trente, soixante, cent fois ce qui a été semé. (Mc 4,1-9) Il nous faut donc accepter la très grande part de perte qu’il y a inévitablement dans notre témoignage chrétien, dans notre proposition de l’évangile autour de nous. Il nous faut accepter que tôt ou tard, nous serons poussés à dire un jour, comme le serviteur souffrant (Is 49,4), ‘’c’est en vain que j’ai peiné, c’est pour rien, pour du vent que j’ai usé mes forces’’. Mais il faut aussi ne jamais perdre de vue qu’aussi sûr que la semence produit parfois d’excellentes récoltes, notre témoignage, un jour, au jour et devant la personne choisie par Dieu, notre témoignage prendra racine, et produira dans cette personne un rachat, un salut, une délivrance. À bien y penser, quand on connaît la différence qu’apportent la foi, l’espérance, et l’évangile chrétiens dans une vie, n’est-il pas vrai de dire que ma vie chrétienne aura atteint un but admirable si une seule personne humaine, grâce en partie à mon témoignage, étreint l’évangile qui nous fait vivre?
Plaise à Dieu que nous ne désespérions jamais de proposer l’évangile au monde, que nous ne passions pas à côté des occasions qui nous sont offertes pour rendre compte de l’espérance qui est en nous, que l’Esprit nous inspire le mot juste, lorsque l’occasion se présente. Plaise à Dieu que grâce à notre témoignage, le vôtre et le mien, une seule personne dans ce monde passe de l’aveuglement à la lumière de Jésus et de l’évangile.
0 Comments