Pour comprendre toute la portée de cette parabole assez anodine à première vue, il faut la placer dans son contexte.
Nous sommes au chapitre 21 de l’évangile de Mathieu. La fin approche. Et c’est comme si Jésus faisait tout pour passer à l’offensive, pour s’assurer que les événements se dérouleront selon la volonté du Père.
De sa propre initiative, il organise une entrée messianique à Jérusalem, chose certaine de provoquer l’inquiétude de tout l’establishment du peuple choisi.
Aussitôt entré dans la ville, il se rend au Temple, où il s’affaire à le nettoyer de façon assez violente de tout ce qui s’y trouvait de vendeurs et d’acheteurs. Il y guérit des aveugles et des boiteux et motivent les enfants présents à crier ‘’Hosanna au fils de David’’. Les scribes et les grands prêtres, indignés, lui disent :’’ tu entends ce qu’ils disent, ceux-là?’’ Parfaitement, leur répond Jésus, en bon français, ‘’Deal with it’’.
Le lendemain, il enseigne ouvertement dans le Temple. Les grands prêtres et les anciens du peuple le somment de justifier ce qu’il fait, en vertu de quelle autorité. Il répond à leur lâcheté devant sa question sur le baptême de Jean en refusant de répondre à leur question sur l’autorité par laquelle il agit.
Puis vient notre parabole. Elle leur est adressée directement. Son sens devient, grosso modo, vous êtes, vous, grands prêtres, scribes, anciens du peuple, ceux qui se disent être par excellence les travailleurs dans la vigne du Père. Mais vous faites le contraire. Vous vous opposez à la venue du Royaume. Vous faites tout pour vous opposer à la volonté du Père. Aussi les publicains et les prostituées arriveront-ils avant vous au Royaume de Dieu, puisqu’ils l’ont accueilli, alors que vous, vous vous y opposez.
Puis vient ensuite la parabole épouvantable des vignerons homicides, et son application aux autorités juives. Le verdict est impitoyable. Les autorités juives ont depuis toujours et jusqu’à ce jour, battu, lapidé et tué ceux que le Père leur envoie. Aussi le Royaume de Dieu vous sera-t-il retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits.
Jésus s’en prend ensuite aux Pharisiens, aux Sadducéens et aux scribes. Son agressivité envers eux atteint son apogée dans une longue série de sept malédictions prononcées contre eux.
La mobilisation des ennemis résolus à agir est à peu près complète. Cette agressivité envers l’establishment juif scelle, pour ainsi dire, le destin de Jésus. Il s’est assuré de la fin de cette histoire que le Père veut. Il fallait que l’ultime envoyé du Père soit rejeté de façon claire et nette, non-ambigüe, il fallait l’absolution collective de tout le peuple, en entier, y compris son establishment par le Christ ressuscité pour que soient révélées les dispositions cachées, inconnues, secrètes du Père. En effet, puisqu’il pardonne jusqu’à ceux qui ont été directement responsables de la passion et de la mort de son Fils, combien plus ne devons-nous croire que son pardon est désormais universel, sans limites, sans exceptions, en vertu de cette même passion et de cette même mort qu’on lui a fait subir.
Il fallait la violence provoquée par Jésus lui-même pour nous valoir à nous, les gentils, mais aussi au peuple choisi et à ses dirigeants, la révélation du pardon sans fin du Père, et du Fils, la rémission de tout péché, moyennant la contrition, en un mot, le salut. Il fallait toute cette violence pour que nous soyons délivrés à jamais de la peur devant Dieu.
Ce n’est pas du jamais-vu. J’ai vu il y a très longtemps un film très touchant, très profond. Bette Midler joue le rôle d’une mère, prise avec un problème d’alcoolisme. Sa fille adulte noue une relation amoureuse avec le fils d’une famille aisée, riche, heureuse. Voulant ce bonheur pour sa fille, elle cesse de boire. Mais ça ne suffit pas. Sa fille lui révèle un jour que la famille de son fiancé exige d’elle qu’elle choisisse entre sa mère, et cette vie idyllique qui l’attend. Elle ne peut avoir les deux. La fille dit alors fièrement à sa mère qu’elle l’a choisie, elle. Qu’elle renonce à cette vie heureuse qui l’attend, par amour pour sa mère. Celle-ci s’organise alors, lors de la prochaine visite de sa fille, pour feindre qu’elle est complètement saoule. Elle lui crie des vulgarités et lui lance des bouteilles d’alcool vides. La fille, les larmes aux yeux, quitte sa mère. On la voit plus tard, le jour de son mariage, entourée de la famille de son bien-aimé. Sa mère, déguisée, voit tout cela par la fenêtre. Elle pleure, mais malgré tout, elle sourit, car de par son sacrifice, elle aura assuré, du moins espère-t-elle, le bonheur à venir de sa fille. N’est-il pas bon de penser que le cœur de Dieu, le cœur du Père et du Fils, est taillé du même tissu que le cœur de cette mère…