Naaman le Syrien et le lépreux samaritain

Paroisse Saint-Jean-Baptiste – Ottawa https://sjb-ottawa.org

La foi : vertu de pèlerinage

Les philosophes définissent la philosophie en termes de pèlerinage vers la sagesse. « Philosopher, écrivait Karl Jaspers, c’est être en route » (1), être en route donc pour la sagesse à travers plusieurs questionnements. Dans la perspective chrétienne et croyante, on peut l’affirmer tout de même : croire c’est être en route. La foi nous fait naître de Dieu (cf. Jn 1, 12-13) et elle nous met en marche vers Dieu. Elle nous met en route pour le Royaume. On pourrait donc mettre ensemble : foi, chemin, cheminer, marcher, dans le même champ lexical. La foi est la vertu qui déclenche notre pèlerinage vers Dieu et notre exode pour le Royaume. Elle nous met en chemin, en pèlerinage pour notre salut. C’est en cela que nous sommes les pèlerins de la foi.

Le Syrien Naaman a cru qu’auprès du prophète Elysée il pouvait trouver guérison, et cette foi l’a mise en route (cf. 2 R 5, 3-5). De fait, la servante de la femme de Naaman qu’on a prise en captivité pour l’amener en Syrie avait dit à sa maîtresse : « Ah, si mon maître pouvait se trouver auprès du prophète qui est à Samarie ! Il le délivrerait de sa lèpre. » (2 R 5, 3) S’il n’avait pas cru à l’invitation de sa servante, il ne se serait pas mis en route pour la Samarie. Arrivé en Israël, Naaman, malgré ses doutes du début, a cru en la parole du prophète Elysée de se jeter sept fois dans les eaux du Jourdain (cf. 2 R 5, 10). Et le Seigneur, le Dieu d’Israël, l’avait guéri de sa lèpre.

Les 10 lépreux ont cru que Jésus pouvait les guérir eux aussi, et ils ont crié vers Lui : « Jésus, Maître, aie pitié de nous. » (Lc 17, 13) Le Seigneur, leur répondit disant : « Allez vous montrer aux prêtres. » (Lc 17, 14) En cours de chemin, obéissant à la parole de Jésus, ils ont été guéris. Quand ils partaient, ils n’étaient pas encore guéris, pourtant. Mais, ils ont cru qu’ils pouvaient guérir à la parole du Maître. En chemin, dans la foi au Seigneur, ils ont été guéris.

Croire et croix

Si la foi nous met en chemin vers Dieu, comme ses pèlerins, elle comporte des écueils. Elle n’est pas une grande auto roulant en paix sur une autoroute. Non. Les routes de la foi sont comme nos routes du tiers monde, avec des creux et des trous, des nids de poules et des écartements qui nous permettent, cependant, de rebondir. Autrement dit, la foi comporte aussi des épreuves. En termes spirituels, on les appelle souvent : nuit de la foi, épreuve de foi, de sécheresse, etc.

En clair, la foi a aussi une dimension douloureuse, une dimension de la croix. Croire et croix vont souvent de pair, il me semble. La foi n’est pas seulement lumineuse, joyeuse ou glorieuse, mais aussi bien douloureuse. La foi comporte aussi un moment de la nuit, un moment défiant et incertain par lequel elle réalise son objectif. Il n’y a pas de foi véritable sans doute, c’est-à-dire sans questionnement de foi. « Comment cela se sera-t-il ? » (Lc 1, 34) Ainsi avait demandé Marie à Gabriel. Suis-je vraiment dans la voie ? Est-ce le Seigneur qui m’a vraiment parlé et appelé, etc. Autant de questions de foi !

N’est-ce pas rêveur, au premier moment, de croire qu’un simple bain dans une eau purifierait, guérirait d’une maladie aussi sévère que la lèpre ? On peut alors comprendre le doute du Syrien Naaman : « Je me disais : “Il va sûrement sortir de chez lui et, debout, il invoquera le nom du SEIGNEUR son Dieu, passera la main sur l’endroit malade et délivrera le lépreux.” L’Abana et le Parpar, les fleuves de Damas, ne valent-ils pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Ne pouvais-je pas m’y laver pour être purifié ? » Il fit donc demi-tour et s’en alla furieux. » (2 R 5, 11-12) Ses serviteurs l’avaient convaincu d’obéir au prophète.

Ne serait-il pas éprouvant pour vous que, souffrant d’une maladie grave comme celle des dix lépreux on vous dise simplement : « Allez vous montrer aux prêtres » ? On se montrait aux prêtres quand on était déjà guéri pour qu’ils l’attestent, le confirment. Or, dans ce cas, ils ne le sont pas encore mais ils partent quand même. « Nous cheminons par la foi, dit Paul, non par la vue. » (2 Co 5, 7) C’est souvent en chemin que Dieu opère des miracles et nous répond.

Abraham eut la promesse d’être père d’une multitude de nations (cf. Gn 15, 3-6), quand il avait soixante-quinze ans (cf. Gn 12, 4). Pourtant, c’est au bout de cent ans qu’il vit la promesse se réaliser (cf. Gn 17, 17 ; 21, 1-21). Quel temps d’attente ! L’épreuve de foi le conduisit à croire que c’est plutôt avec Agar qu’il aurait l’enfant de la promesse (cf. Gn 16). Et pourtant…Joseph, le fils de Jacob, dans ses épreuves de foi en prison en Égypte, pouvait bien remettre en question ses visions d’être le chef des enfants de son père. Et pourtant ? Jean a confessé et prêché le Messie de Dieu avec force et conviction (cf. Mt 3, 11-12 ; Mc 1, 7-8 ; Lc 3, 15-18 ; Jn 1, 24-28). Mais, dans sa prison, il envoya demander si le Christ qu’Il a prêché était vraiment le Messie (Mt 11, 2-6 ; Lc 7, 18-23). La foi a ses nuits, ses creux et écartements qui nous permettent souvent de voir la lumière, de rebondir.

C’est souvent cheminant dans la nuit et les ténèbres que le jour et la lumière se lèvent. C’est souvent en chemin qu’on trouve le but. C’est souvent en chemin, dans la foi, qu’on obtient de Dieu ce qu’on Lui a demandé. C’est souvent dans les épreuves et même sur la croix qu’on voit la résurrection et l’issue de sortie. Ce n’est pas le chemin qui est impossible. Chez Dieu, c’est l’impossible qui est le chemin. Car rien n’est impossible à Dieu.

Adoration, action de grâce et louange

Dans toutes les lectures de ce jour, même dans le psaume, on note l’action de grâce, la joie, la louange et l’adoration. Naaman, dans la joie de sa guérison, voulut offrir un présent au prophète Élysée en guise de reconnaissance : « Accepte, je t’en prie un présent de la part de ton serviteur. » (2 R 5, 15). Mais, le prophète refusa : « Par la vie du SEIGNEUR que je sers, je n’accepterai rien ! » (2 R 5, 16). Au-delà de l’humilité du prophète et de la gratuité de son service qu’on doit apprécier dans ce refus, il faudrait y noter une pédagogie, une éducation spirituelle. Il y a des présents qui peuvent détourner les fidèles de Dieu et les centrer sur les serviteurs, comme si ceux-ci étaient Dieu. Les signes, les miracles doivent orienter les fidèles vers Dieu, l’Envoyeur des messagers et non pas vers les messagers eux-mêmes. Il faut que la gloire revienne à Dieu seul.

Bien avant cela, Naaman avait confessé sa foi en Dieu : « Maintenant, je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n’est en Israël. » (2 R 5, 15) Il est allé de la maladie à la foi, et de la foi à l’adoration. Devant le refus du prophète de recevoir son présent, Naaman ramassa la terre d’Israël pour pouvoir en faire son autel de prière, en Syrie (cf. 2 R 5, 17). Dieu nous gratifie de ses bienfaits afin qu’on l’adore, qu’on Le loue, Lui rend grâce. Les signes de foi, les miracles visent l’adoration. Ils sont pour fortifier la foi. Ils visent l’action de grâce.

Il est dit qu’après être guéri de sa lèpre, le Samaritain revint sur ses pas : « en rendant gloire à Dieu à pleine voix. 16Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ». (Lc 17, 15-16) Il y a la grâce divine et l’action de grâce. La grâce, écrivait Henri Boulad, nous vient du Ciel. Elle descend du Ciel pour la terre tandis que l’action de grâce monte de la terre vers le Ciel (2). Elle vient du cœur humain. C’est à cette action de grâce que Paul appelle et interpelle Timothée : « Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d’entre les morts, issu de la race de David, selon l’Evangile que j’annonce ». (2 Tm 2, 8) La souvenance ici est en vue de l’action de grâce, le bien du salut que Jésus a apporté a monde. Elle vise la louange et l’adoration du Christ Sauveur. Même le psaume invite à la louange et l’action de grâce : « Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau, car il a fait des merveilles.  […] Acclamez le SEIGNEUR, terre entière ; faites éclater vos chants de joie et vos musiques » (Ps 98(97), 1.4)

Quand nous avons des difficultés, Dieu existe. Il a beaucoup de croyants et d’amis. Mais, quand tout va bien pour nous, Il n’existe pas, on ne Le voit plus dans nos vies. Il a alors très peu de croyants et d’amis. L’autel de Dieu est plein de prières de demande et d’intercession de toute sorte, mais pas assez de prières d’adoration, de louanges et d’action de grâce. On voit beaucoup de fidèles quand ils sont en difficultés. Ils nous harcèlent même à tous égards. Mais, une fois exaucés, ils disparaissent. Un proverbe Yoruba dit que l’ingratitude est un autre nom de vol. Il dit aussi que la gratitude, la reconnaissance attire les bénédictions de Dieu. Rendre grâce c’est demander la grâce. À Dieu la gloire pour les siècles des siècles. Amen.


2 R 5, 14-17 ; Ps 97(98) ; 2 Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19
Méditation sur les textes du dimanche de la XXVIIIe semaine du Temps Ordinaire, année C, le 09 octobre 2016. Revue et prêchée le 9 octobre 2022 aux membres du Renouveau charismatique francophone de la paroisse sainte Anne d’Obili.

1) Voir Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, Paris, Julliard, coll. 10 :18, 1998, p. 7 et 131.

2) Henri Boulad, « Dire merci » (homélie), in https://www.youtube.com/watch?v=WyTvBv7bEBA, 9 ocobre 2022.