Pilate interroge Jésus : Es-tu le roi des Juifs ? — Question-piège, soufflée par les chefs du peuple, avec l’espoir d’un christ-messie qui les libère du joug romain. Jésus prend ses distances. Trois fois, il répète: Ma royauté n’est pas de ce monde. Pilate est confus.
Les mots sont pourtant clairs. Si ma royauté était d’ici, mes gardes se seraient battus. Jésus n’est pas roi à hauteur d’homme. Il ne s’impose ni par la violence ni par les jeux politiques. Il n’est pas roi à la suite d’un projet humain. Sa royauté est un don de Dieu. Alors, quelle sorte de roi est-il, quel est son pouvoir ?
À la cène, Jésus le montre à ses disciples. Vous m’appelez maitre et Seigneur. Vous faites bien, car je le suis, moi qui vous ai lavé les pieds. Mystère, du roi qui prend la place du serviteur, du Fils abaissé dans la condition de l’esclave. Voilà, selon saint Jean, la révélation du don de Dieu, le Père, qui a tant aimé le monde.
Pilate ne peut pas comprendre. Il répète sa question : Alors, tu es roi ? — Jésus définit ce qui fait sa royauté. Je suis venu témoigner de la vérité. Pour le langage de la Bible, vérité et fidélité font un. Dans sa personne, sa parole et ses actes, le Christ Jésus est le témoin fidèle de l’inlassable fidélité de Dieu à sa miséricorde.
Témoigner de la vérité… appartenir à la vérité. Décidément, sa royauté n’est pas d’ici. D’où est-elle donc ? — Selon l’Apocalypse (de tradition johannique) c’est la royauté du Premier-né d’entre les morts. Règne de grâce et de sainteté, inauguré par le sang versé qui libère de tout péché, de tout esclavage, et qui renoue la communion avec Dieu.
Pilate s’entête. Il fait sentir son pouvoir : Ce qui est écrit est écrit. Au-dessus la tête de celui qu’il a fait crucifier comme un fils d’homme, le placard proclame : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Pas seulement en hébreux, mais en grec et en latin. Langues universelles de l’Empire. Est-ce moquerie à l’endroit des Juifs qui l’ont livré ou geste prophétique à la manière du mage païen Balaam, celui dont l’ânesse s’était mise à parler ?
On dirait que l’écrit de Pilate veut rejoindre la vision qu’ont l’Apocalypse et le Livre de Daniel du règne à venir. Un règne, ouvert à tous les peuples, toutes nations et toutes langues pour en faire une multitude de soeurs et de frères. Un règne, où (c’était notre prière, au tout début) la création serait libérée de la servitude qui la détruit. Un tel règne, éternel, qui jamais ne passera, ne peut être d’ici. Il ne peut être sorti que des nuées du ciel… que de Dieu.
Pour décrire ce règne Daniel et l’Apocalypse utilisent les mots de l’expérience humaine, gloire, puissance, domination. Mais quel avenir incomparable à nos gloires éphémères ! Quelle force de vie, quand prolifèrent armes de mort, la désinformation, l’intolérance, les esclavages ! Quelle liberté de service, de gratuité, quand tout parait n’être que trafic d’influence et recherche d’intérêts personnels.
Le baptême nous associe étroitement à ce règne. Il s’achève par un rit repris à la confirmation : l’onction royale, l’onction de l’Esprit Saint. L’Esprit de vérité nous unit au Christ, nous donne son nom, nous fait christien, chrétien. Avec le Christ Jésus, il fait de nous un royaume et des prêtres pour Dieu son Père et notre Père.
Par le Christ, avec lui et en lui, le baptême nous confie la création pour qu’elle serve la gloire
de Dieu. Il nous confie la louange et la supplication du monde. Aujourd’hui, nous contemplons le Christ-Roi, le coeur ouvert d’où jaillissent l’eau de vie éternelle et le sang de communion. Que la fidélité de Dieu nous convertisse encore et nous fasse poser, sans jamais désespérer, les gestes vrais qui font la justice, l’amour et la paix chez nos frères et soeurs en humanité.
F. Jean-Marc Perreault O.P.
Daniel 7,13-14 ; Psaume 92 ; Apocalypse 1,5-8 ; (Marc 11,10) Jean 18,33b-37