‘’Et moi je disais : Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces.’’
Cette impression d’avoir œuvré en vain qui devait être le sort du Serviteur Souffrant dont nous avons entendu le deuxième chant en deuxième lecture, Jean Baptiste l’a vécue. Dans sa prison à Machéronte, il reçoit des nouvelles de Jésus, et il est perplexe. Ce que fait Jésus, et peut-être surtout l’opposition qui se durcit progressivement contre lui, c’est pas ce à quoi s’attendait Jean Baptiste dans la vie du Messie. Et il se met à douter. Après avoir dévoué sa jeunesse en préparation, après avoir préparé Israël à la venue du Messie, et l’avoir pointé du doigt lorsque Jésus s’est manifesté, Jean Baptiste, dans sa cellule, est réduit à penser qu’il s’est peut-être trompé. Il envoie ses disciples à Jésus pour lui demander : es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?
Je veux croire que Jean a compris et a cru la réponse de Jésus : Oui, je suis celui qui doit venir, puisque les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Je veux croire que l’ayant cru et compris, Jean est mort en paix, sinon en joie.
Quoiqu’il en soit de la lucidité finale de Jean, ce que je trouve merveilleux, consolant, c’est que Jésus n’a pas vécu complètement seul sa vocation de serviteur souffrant. Jean l’a vécue avec lui.
Cela est pour moi d’une grande consolation parce que depuis quelques temps, je suis extrêmement saisi par la solitude terrible qui fut celle de Jésus dans son ministère, et jusque dans sa passion. Mais hier, en méditant sur les textes de la fête, il m’est venu à l’esprit que non, Jésus n’était pas complètement seul. Son cousin Jean était avec lui dans son accomplissement des prophéties du serviteur souffrant, dans sa vie, dans son ministère et jusque dans sa mort. C’est pour moi une grande consolation.
Jean était-il aussi conscient que Jésus que le sens de sa vie, c’était de vivre dans sa chair les chants du serviteur souffrant? J’en doute, mais du moins, Jésus le savait, et du fait même, il se savait en communion avec Jean, et par conséquent, pas complètement seul.
Pour le reste de ma vie, ce sera ma réplique, chaque fois que je songerai à la terrible solitude qui a été celle de Jésus.
Je profite de ce moment pour vous confier une expérience personnelle. Lorsque j’ai quitté ma famille pour entrer au noviciat, j’ai eu une crise de panique. Je me suis demandé quelle gaffe je venais de faire. En arrivant à Québec, ma seule question était de déterminer combien de temps dois-je rester pour ne pas avoir l’air trop bête en partant. Je n’ai pas ouvert ma valise pendant une semaine. Au terme de la première semaine, le fr. Denis Gagnon nous a prêché une récollection d’une journée avant la prise d’habit et le début du noviciat. Il nous a présenté Jean-Baptiste et Marie comment étant, ensemble, le prototype de Saint Dominique. Du coup, j’ai été guéri de ma crise de panique. Ce soir-là, joyeusement, j’ai défait ma valise, et je savais que j’entrais dans l’Ordre pour la vie. Car l’idéal que le fr. Denis Gagnon avait présenté, il était trop beau. Être Jean-Baptiste. Être cet homme un peu caché, homme voué si exclusivement à être un doigt pointé vers le Messie que du moment que sa mission est accomplie, il est enlevé de la scène.
Depuis lors, c’est ce que j’ai voulu être, ce que j’ai voulu vivre. Prédicateur comme Jean, contemplatif comme Marie. Et rien d’autre. Je ne suis pas le genre à vouloir faire l’évaluation de la mesure dans laquelle j’ai réussi. Je regarde en avant. Et je rends grâce à Dieu, et à Denis Gagnon, chaque jour, de m’avoir donné pour modèle, après Jésus, celui qui, dans les mots de Jésus, est le plus grand parmi les enfants des femmes, Jean le Baptiste.
Cet homme si lumineux, si merveilleusement proche de Jésus dans sa vie, sa vocation et son sort, est le patron de notre couvent et de notre paroisse. Nous sommes choyés. Alors, tout en nous fêtons nous-mêmes, sachons fêter celui dont nous portons fièrement le nom : Saint Jean Baptiste.